À l’été 2017, l’Adeppi a contacté le centre d’expression et de créativité (CEC) « L’Atelier » pour lui proposer de mettre en place un atelier artistique à destination des détenus de la prison de Marche-en-Famenne. Un artiste-animateur de L’Atelier, François Houssiaux, a pris contact avec l’artiste plasticien (et tatoueur indépendant) Piet du Congo, afin d’intervenir seul ou en tandem dans une dynamique commune.
Notre intention de départ était d’ouvrir un atelier d’art plastique accessible à tous et toutes en prison, dans le but d’offrir à chacun et chacune un espace où s’exprimer librement en découvrant ses outils de prédilections et sa manière de faire, tout en laissant surgir les personnalités. Nous envisagions plutôt notre présence comme un accompagnement dans la découverte des pratiques et des recherches de possibilités de création.
Mais cette intention a très vite été confrontée à une demande soutenue de certains détenus ; celle d’acquérir des « techniques » propres au dessin classique : travail de proportion, perspective, dégradé. Suite à ces réclamations récurrentes, nous avons mis en place un exercice consistant à dessiner un parallélépipède rectangle en perspective, avec prises de proportions, points de fuite etc. L’exercice très technique sembla rébarbatif aux détenus et mit fin aux demandes académiques du groupe, nous permettant alors de passer à autre chose, plus personnel, brut, débridé.
C’est en se remémorant cette anecdote que nous est venue l’idée d’intituler ce livret « Point de fuite ». Cette expression peut revêtir différents sens, celui technique faisant référence à l’anecdote mentionné ci-dessus, mais aussi sous un angle plus symbolique : échappatoire du quotidien que peut permettre une activité artistique pour quiconque et nous l’espérons pour les détenu·es en particulier.
Cet atelier était pour nous une première expérience en prison. Elle nous a d’emblée confrontés à toutes sortes de contraintes que nous n’avions pas anticipées.
Très vite et de manière récurrente, nous avons tous les deux été marqués par un rapport au temps particulier. Gardiens et détenus l’ont évoqué de différentes manières.
Lors d’une séance Piet est en retard et presse le pas, un gardien lui signale : Houlà ! Doucement, ici on n’est pas pressé ! Une autre fois il attend une gardienne à la porte, elle court pour le rejoindre. Elle signale qu’elle n’aurait pas dû ; les cameras ne prenant pas le son, courir est assimilé à une situation d’urgence ou de danger. On ne court pas après le temps en prison.
Du côté des détenus nous avons eu par moment l’impression qu’il y avait une volonté d’étirer le temps pour éviter l’ennui. En prison le temps est subjectif nous dit un détenu. De fait, lors des séances le temps leur a parfois échappé, le dessin leur ayant permis une forme de fuite au temps carcéral. D’autre fois, certains détenus ont tenté d’établir une forme de lenteur « occupationnelle ».
Certains participants ne seraient sans doute pas venus à ce type d’activité hors du contexte carcéral. Nous l’avons senti à travers certains commentaires : je viens ici pour agrandir l’espace de ma cellule ou je viens par curiosité ou pour des rencontres. D’autant que la prison de Marche est une prison pour homme et femme, les activités y sont mixtes. C’est donc l’occasion pour les couples de détenus de se voir ou de se former : Il n’y a même pas de femme ici aujourd’hui nous fait remarquer un détenu lors d’une séance. D’autres signalaient leurs manques ou leurs désirs : avoir un petit café, une cigarette ou un peu de musique pour travailler, ça serait bien, non ! ou Si vous me promettez de la musique pour la prochaine fois, je reviendrai ! De notre côté, une des difficultés a été de parvenir à terminer des travaux, notamment à cause du manque de régularité des participants aux ateliers. Les détenus n’ont pas le droit de reprendre leurs travaux en cellule, ce qui peut causer une difficulté de s’immerger à nouveau dans un travail entamé au moins une semaine au préalable.
Mais d’autres raisons rentraient en compte : les libérations, les transferts de prison, les détenus punis à qui l’on retire le droit de participation. L’absence d’envie de venir ou de devoir mettre la tenue de détenu obligatoire pour rejoindre les locaux. À cela peut s’ajouter une visite (familiale ou juridique) ou une grève qui a pour effet l’annulation de la séance. À ce propos, un détenu nous relatait : en 2015 j’étais à Lantin pendant les grèves. On est resté enfermé en cellule pendant neuf semaines et on n’a pu en sortir que cinq fois pour prendre une douche. Est-ce que tu peux imaginer ça ? Ou quand il y a grève des gardiens c’est toujours les détenus qui en pâtissent, pas les politiciens.
Ce manque de régularité nous a souvent amené à devoir reconsidérer le groupe et faire connaissance avec de nouveaux participants, ce qui a rendu compliqué le travail sur plusieurs sessions et nous a poussé à faire nous-mêmes les collages numériques avec les réalisations, à nos yeux intéressantes, mais non finalisées. Ces collages sont annotés par le signe (+) en bas de pages.
Les résultats présentés dans ce livret sont donc le reflet de notre point de vue d’animateurs sur le travail effectué durant l’année. Suite à la désorganisation due aux grèves, nous n’avons malheureusement pas pu le confronter à celui des détenus et des gardiens.
On y perçoit aussi la place de la parole. Cet aspect mérite d’être accentué. Le partenariat avec la Bibliothèque Provinciale du Luxembourg nous y encourage. Rendez-vous l’année prochaine pour voir d’autres évolutions encore…
Le très beau livret (.pdf) clotûrant cette 1ère saison 2017-2018
La présentation de l’atelier « Point de fuite » sur le site du CEC L’Atelier
À l’été 2017, l’Adeppi a contacté le centre d’expression et de créativité (CEC) « L’Atelier » pour lui proposer de mettre en place un atelier artistique à destination des détenus de la prison de Marche-en-Famenne. Fort du succès de cette 1re année, l’atelier reprend de plus belle pour l’année 2018-2019 !